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Groupe de travail interdisciplinaire | Association Française d'Informatique Musicale
Pratiques et métiers :
Les métiers du sonore dans le spectacle vivant:
La confrontation de régisseurs/réalisateurs sonores et de compositeurs, les uns comme les autres travaillant régulièrement dans le cadre du spectacle vivant avec des outils audionumériques, fait émerger la question des métiers et des cultures du sonore.
En effet, ces deux « corps de métier », issus de cultures et de formations différentes, voire parfois opposées, retrouvent, dans le rapport au plateau, un certain nombre de similitudes entre leurs pratiques, de contraintes et de questionnements partagés.
Ainsi, la distinction entre compositeur et réalisateur sonore se trouve, dans la pratique, pondérée par une même attention à respecter et à s'adapter au « temps du plateau », qui contraint et conditionne le temps musical propre. De même, l'usage non-musical du sonore (textuel, contextuel, anecdotique...), fréquent dans ce contexte, rapproche la pratique du compositeur de celle du réalisateur sonore. Inversement, bien souvent, le metteur en scène demande au réalisateur sonore des propositions qui s'approchent du domaine musical, et outrepassent par là ses compétences supposées.
L'usage de l'espace sonore dénote lui aussi d'un certain nombre de différences culturelles entre compositeurs et réalisateurs sonores, majoritairement articulées autour de la distinction multi-diffusion/spatialisation : construction d'un espace sonore (réaliste ou imaginaire) par le placement des sources ou espace intrinsèque à l'objet ou processus sonore.
On pourrait aussi relever une différence de pratique entre le régisseur et l'interprète : l'un s'assurant que les différents moments s'enchaînent correctement et que les équilibres sonores sont respectés, l'autre devant censément jouer un rôle expressif, d'interprétation.
Or cette distinction est bien entendu caricaturale, puisque dans bien des cas le régisseur fera appel à sa sensibilité pour appuyer tel ou tel effet, pour retenir ou précipiter une transition. De même, l'interprète aura bien souvent la tâche d'enchaîner les séquences, de s'assurer du bon fonctionnement du système, d'ajuster les niveaux sonores - toutes préoccupations qu'une classification stricte rangerait plutôt du côté de la régie.
On constate donc finalement que ces différences et oppositions culturelles, dans la pratique et en fonction des réquisits esthétiques, tendent vers une hybridation, un métissage, et que la distinction entre ces corps de métier historiques se recoupe dans une zone d'indétermination : le réalisateur sonore se retrouve bien souvent en posture de composer, le régisseur doit interpréter transitions et gestes. De même le compositeur/interprète, depuis l'émergence de la musique électroacoustique, ne peut s'affranchir de la technique et des outils, en partie communs avec le régisseur, et qui sont désormais difficilement dissociables du travail créatif même.
Tout au plus peut-on considérer les oppositions entre régisseur et interprète d’une part et entre compositeur et réalisateur sonore de l’autre, comme une distinction théorique, pour les besoins de l'analyse, alors que la pratique requiert de chacun en posture d'écrire le sonore pour le plateau d'emprunter à l'une et à l'autre de ces catégories établies leurs outils, techniques, points de vue et pratiques.
Ce constat se confirme par l'examen des outils développés par les régisseurs et compositeurs de notre groupe de travail: même s'ils dénotent de façon évidente de ces différences culturelles dans leurs choix de conception, ces environnements montrent un nombre notable de points communs et indiquent une convergence de préoccupations qui semble autoriser la perspective d'un développement commun.
On pourrait conclure sur ce point en disant que, s'il est admis que le régisseur/réalisateur sonore pour le théâtre se veut au service exclusif du plateau alors que le compositeur défend sa temporalité musicale propre, l'un comme l'autre sont au service du propos singulier du spectacle et de ses partis pris esthétiques, qui, en fin de compte et dans cette situation, se devraient d'être l'horizon principal de leur activité.
Il nous semble également nécessaire de bien prendre en compte la relative jeunesse de ces pratiques, et leur caractère majoritairement expérimental, qui nous interdit toute conclusion définitive sur un domaine en perpétuelle évolution...
Formation et transmission face aux mutations des métiers
Comme semble l'indiquer l'ensemble des réflexions précédentes, les métiers traditionnels dans le champ du sonore pour le spectacle vivant, à la croisée des pratiques musicales et des techniques du son, sont en train de subir une mutation, avec pour horizon le sonore dans son ensemble comme matériau créatif et pour outils les nouveaux environnements audionumériques.
Ce changement dans l'organisation du travail est bien entendu généré par la mutation des outils et le changement du régime analogique vers celui du numérique, mais pas seulement : les mutations esthétiques et le mélange des genres que subissent les arts de la scène impliquent une nécessaire redistribution des rôles créatifs.
Il paraît cependant évident que la démocratisation des moyens de production, de composition et d'interprétation par la banalisation de l'ordinateur personnel a permis à tout un chacun de se rendre autonome, alors qu'il y a quelques années seulement, une création sonore était difficile, voire impossible à assumer seul, sans le soutien technique d'une structure ou d'un studio...
Comme le disait le compositeur Fausto Romitelli : « Je pense qu'il faut bien voir que, suite à la distribution massive des systèmes informatiques, la possibilité a été donnée à tout le monde de travailler sur le son ; cela a changé beaucoup de choses. L'ordinateur est désormais sorti des instituts de recherche, ce qui rend accessible à beaucoup de gens une approche directe du son. (...) Cela signifie que des gens sans savoir, mais aussi sans dogme, donc libres, peuvent travailler au coeur du sonore, et apporter ainsi une approche compositionnelle très différente des approches traditionnelles. On peut dire que le travail à l'ordinateur est devenu un travail d'écriture. »
Le maître mot est bien ici « écriture ». Car c'est bien "d'écriture du sonore" (pour reprendre les mots de Daniel Deshays) dont il s'agit au théâtre, pour la danse ou au concert. Évidemment, chaque champ impliquera un mode particulier d'écriture et génèrera une temporalité propre ; de même si « l'écrivain du sonore » est issu d'une formation de compositeur ou de technicien.
Mais, avant tout, et c'est ce que semble vouloir dire Romitelli, ce changement de contexte implique surtout un changement de pratique, et « "l'écriture du sonore »" n'est plus alors réductible à la seule -continuation de l'écriture musicale « "traditionnelle »". D’autres attitudes apparaissent et impulsent ainsi de nouvelles écritures -
Cette préoccupation de l'écriture du sonore, lorsqu'elle en vient à interroger les problématiques de l'interprétation, donc de l'exécution en direct, soulève un certain nombre de problèmes nouveaux. En effet, contrairement à l'écriture musicale « traditionnelle », pour laquelle existe tout un instrumentarium éprouvé, bénéficiant de siècles de pratique et de réflexion, de méthodes d'enseignement et d'écoles, les nouvelles écritures du sonore cherchent encore leurs instruments.
On pourrait même dire que l'invention de ces instruments est consubstantielle de l'émergence de ces nouvelles écritures. Ainsi, c'est grâce au détournement des appareils médiatiques tels que le tourne-disque et le magnétophone à bandes que Pierre Schaeffer et Pierre Henry inventèrent la musique concrète.
Mais cette invention permanente d'instruments n'est pas sans provoquer certains problèmes, dont le fait qu'un instrument dont la forme et la structure change constamment ne peut pas décemment être qualifié d'instrument, si l'on entend qu'avec l'instrument doivent être associées une pratique et une maîtrise, donc une habitude corporelle, un ensemble de réflexes subconscients d'utilisation permettant l'expressivité générée par une permanence de la correspondance entre le geste et le résultat sonore. Cette question est traitée en profondeur et avec un regard critique acéré par Christopher Dobrian et Daniel Koppelman dans un article présenté au NIME'06 .
De plus, la possibilité ouverte par l'informatique personnelle de générer aussi bien du son que de l'image avec des pratiques somme toute assez semblables, et parfois avec les mêmes outils (comme c'est le cas avec des environnements comme max, pure-data ou processing) a encouragé le décloisonnement des pratiques audiovisuelles et donc des métiers : un spécialiste du son pouvant parfois être amené à produire la partie visuelle d'un spectacle, par exemple.
C'est ainsi que l'on voit émerger des appellations telles que « régisseur numérique » ou « artiste multimedia », qui ne se basent plus sur un support en particulier, mais prennent appui -bien souvent par défaut- sur l'outil employé pour nommer leur pratique et, partant, leur catégorie professionnelle. Non pas que ces nouveaux moyens suppriment la nécessité d’une spécialisation de métier : au contraire ils nous semblent permettre la possibilité d’une meilleure circulation entre les domaines et les métiers historiquement établis.
Cette mutation des métiers pose évidemment avec force et urgence la question de la formation et de la transmission des savoirs.
Car, si ces métiers en émergence peinent à se définir, quelles doivent être les méthodes pour les enseigner, par quels formateurs et dans quels organismes, avec quels outils ?
Ces questions restent bien entendu ouvertes et trouveront leurs réponses par la pratique et par les choix politiques que feront institutions et organismes de formation.
Il semble cependant nécessaire qu'une composante d'expérimentation soit affirmée et défendue comme consubstantielle à ce type d'enseignement, les paradigmes et technologies évoluant trop rapidement pour pouvoir figer ces pratiques dans un précepte technique quelconque.
Il y aurait aussi certainement à réfléchir aux contenus d’un enseignement visant à développer une véritable « culture de l’écoute » qui pourrait s’appuyer, entres autres, sur des pratiques mettant en œuvre concrètement l’oreille, de la prise de son à la diffusion.
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